Chant d’automne/Song of Autumn
J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe; L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd. Mon esprit est pareil à la tour qui succombe Sous les coups du bélier infatigable et lourd.
Il me semble, bercé par ce choc monotone, Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part! Pour qui? c’était hier l’été; voici l’automne! Ce bruit mystérieux sonne comme un départ!
J’aime, de vos longs yeux, la lumière verdâtre. Douce beauté! mais aujourd’hui tout m’est amer! Et rien ni votre amour ni le boudoir, ni l’âtre, Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer!
I tremble as I hear each log falling; a scaffold being built does not echo more hollowly. My mind is like a tower that tumbles When struck by a tireless heavy battering-ram.
It seems to me, rocked by this monotonous thudding, As if somewhere a coffin is being hastily hammered. For whom? Yesterday it was summer; now it’s autumn! This mysterious noise sounds like a departure!
I love the greenish light of your long eyes, O gentle beauty. But today I find everything bitter! Nothing, neither your love, nor the boudoir nor the hearth Means as much to me as the sun beaming on the sea!
Le balcon/The Balcony
Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon, Et les soirs au balcon, voilés de vapeur rose. Que ton sein m’était doux! Que ton cœur m’était bon! Nous avons dit souvent d’impérissables choses Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon.
Que les soleils sont beaux par les chaudes soirées! Que l’espace est profond! que le cœur est puissant! En me penchant vers toi, reine des adorées, Je croyais respirer le parfum de ton sang. Que les soleils sont beaux par les chaudes soirées!
La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison, Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles, Et je buvais ton souffle. Ô douceur, ô poison! Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles, La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison.
Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses, Et revis mon passé blotti dans tes genoux. Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses Ailleurs qu’en ton cher corps et qu’en ton cœur si doux? Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses!
Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis. Renaîtront-ils d’un gouffre interdit à nos sondes Comme montent au ciel les soleils rajeunis Après s’être lavés au fond des mers profondes O serments! ô parfums! ô baisers infinis!
On evenings lit by the glowing coal-fire and evenings on the balcony, veiled with pink mist, how soft your breast was, how kind to me was your heart! Often we said imperishable things on evenings lit by the glowing coal-fire.
How beautiful the sun is on warm evenings! How deep is space! How powerful the human heart! As I leant over you, oh queen of all adored ones, I thought I was breathing the fragrance of your blood. How beautiful the sun is on warm evenings!
The night would thicken like a wall around us, and in the dark my eyes would make out yours, and I would drink your breath, oh sweetness, oh poison! And your feet would fall asleep in my brotherly hands. The night would thicken like a wall around us.
I know how to evoke the moments of happiness, I relive my past, nestling my head on your lap. For why would I seek your languid beauties anywhere except in your dear body and your oh-so-gentle heart? I know how to evoke the moments of happiness!
Will those sweet words, those perfumes, those infinite kisses be reborn from a chasm deeper than we may fathom like suns that rise rejuvenated into the sky after cleansing themselves in the oceans’ depths? Oh sweet words, oh perfumes, oh infinite kisses!
Harmonie du Soir/Evening Harmony
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir, Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige, Valse mélancolique et langoureux vertige, Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;
Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige, Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir; Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir, Du passé lumineux recueille tout vestige. Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige, Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir.
Each flower gives off fragrance like a censer; the violin trembles like a heart in distress, a melancholy waltz, a languid dizziness! The sky is sad and beautiful like a vast altar.
The violin trembles like a heart in distress, a tender heart, which hates the huge, dark void! The sky is sad and beautiful like a vast altar; the sun has drowned in its own congealing blood.
A tender heart, which hates the huge, dark void, gathers up every relic of the harmonious past! The sun has drowned in its own congealing blood, – the memory of you shines in me like a monstrance!
Le jeu d’eau/The Fountain
La gerbe d’eau qui berce Ses mille fleurs, Que la lune traverse De ses pâleurs, Tombe comme une averse De larges pleurs.
Ainsi ton âme qu’incendie L’éclair brûlant des voluptés S’élance, rapide et hardie, Vers les vastes cieux enchantés. Puis, elle s’épanche, mourante, En un flot de triste langueur, Qui par une invisible pente Descend jusqu’au fond de mon coeur.
Ô toi, que la nuit rend si belle, Qu’il m’est doux, penché vers tes seins, D’écouter la plainte éternelle Qui sanglote dans les bassins! Lune, eau sonore, nuit bénie, Arbres qui frissonnez autour, Votre pure mélancolie Est le miroir de mon amour.
The water-sheaf which waves to and fro its thousand flowers, and through which the moon shines its pallid rays, falls like a shower of large teardrops.
Even so your soul, set ablaze by the burning flash of pleasure, leaps up, rapid and bold, towards the vast enchanted skies. And then it spills, dying, in a wave of sad languor down an invisible slope into the depths of my heart.
Oh beloved, whom night makes so beautiful, as I lean over your breasts, I find it sweet to listen to the eternal lament that sobs in the fountain-basins! Oh moon, sounds of water, blessed night, oh trees trembling all around, your pure melancholy is the mirror of my love.
Recuillement/Meditation
Pendant que des mortels la multitude vile, Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci, Va cueillir des remords dans la fête servile, Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,
Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années, Sur les balcons du ciel, en robes surannées. Surgir du fond des eaux le Regret souriant;
Le Soleil moribond s’endormir sous une arche; Et, comme un long linceul traînant à l’Orient, Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
Now while the base multitude of mortals, whipped on by Pleasure, that merciless tormentor, goes off to reap remorse in servile entertainments, give me your hand, my Pain, come this way
far from them. Look, the dead Years are leaning at the sky’s balconies, in outmoded dresses; from the river’s depths Regret is rising with a smile;
the moribund Sun is falling asleep under an arch. And like a long shroud trailing in from the East, listen, my dear, listen to the gentle Night approaching.