Banalités
Text by Guillaume Apollinaire (1880 – 1918) [pseudonym]
Par les portes d’Orkenise Veut entrer un charretier. Par les portes d’Orkenise Veut sortir un va-nu-pieds.
Et les gardes de la ville Courant sus au va-nu-pieds: “Qu’emportes-tu de la ville?” “J’y laisse mon coeur entier.”
Et les gardes de la ville Courant sus au charretier: “Qu’apportes-tu dans la ville?” “Mon coeur pour me marier.”
Que de coeurs dans Orkenise! Les gardes riaient, riaient, Va-nu-pieds, la route est grise, L’amour grise, ô charretier.
Les beaux gardes de la ville Tricotaient superbement; Puis les portes de la ville Se fermèrent lentement.
Through the gates of Orkenise a carter wants to enter. Through the gates of Orkenise a tramp wants to leave.
And the sentries of the town, rush up to the tramp and ask: “What are you taking out of the town?” “I’m leaving my whole heart behind.”
And the sentries of the town, rush up to the carter and ask: “What are you bringing into the town?” “My heart: I’m getting married.”
What a lot of hearts in Orkenise! The sentries laughed and laughed. Oh tramp, the road is dreary; oh carter, love is heady.
The handsome sentries of the town knitted superbly; Then the gates of the town slowly swung shut.
Ma chambre a la forme d’une cage, Le soleil passe son bras par la fenêtre. Mais moi qui veux fumer pour faire des mirages J’allume au feu du jour ma cigarette. Je ne veux pas travailler – je veux fumer.
My room has the form of a cage. The sun reaches its arm in through the window. But I want to smoke and make shapes in the air, and so I light my cigarette on the sun’s fire. I don’t want to work, I want to smoke.
Tant de tristesses plénières Prirent mon coeur aux fagnes désolées Quand las j’ai reposé dans les sapinières Le poids des kilomètres pendant que râlait le vent d’ouest.
J’avais quitté le joli bois Les écureuils y sont restés Ma pipe essayait de faire des nuages Au ciel Qui restait pur obstinément.
Je n’ai confié aucun secret sinon une chanson énigmatique Aux tourbières humides
Les bruyères fleurant le miel Attiraient les abeilles Et mes pieds endoloris Foulaient les myrtilles et les airelles Tendrement mariée Nord Nord La vie s’y tord En arbres forts Et tors. La vie y mord La mort À belles dents Quand bruit le vent
So much deep sadness seized my heart on the desolate moors when I sat down weary among the firs, unloading the weight of the kilometres while the west wind growled.
I had left the pretty woods. The squirrels stayed there. My pipe tried to make clouds of smoke in the sky which stubbornly stayed blue.
I murmured no secret except an enigmatic song which I confided to the peat bog.
Smelling of honey, the heather was attracting the bees, and my aching feet trod bilberries and whortleberries. Tenderly she is married North! North! There life twists in trees that are strong and gnarled. There life bites bitter death with greedy teeth, when the wind howls.
Ah! la charmante chose Quitter un pays morose Pour Paris Paris joli Qu’un jour dût créer l’Amour.
Ah, how delightful it is to leave a dismal place and head for Paris! Beautiful Paris, which one day Love had to create!
Notre amour est réglé par les calmes étoiles Or nous savons qu’en nous beaucoup d’hommes respirent Qui vinrent de trés loin et sont un sous nos fronts C’est la chanson des rêveurs Qui s’étaient arraché le coeur Et le portaient dans la main droite … Souviens-t’en cher orgueil de tous ces souvenirs Des marins qui chantaient comme des conquérants. Des gouffres de Thulé, des tendres cieux d’Ophir Des malades maudits, de ceux qui fuient leur ombre Et du retour joyeux des heureux émigrants. De ce coeur il coulait du sang Et le rêveur allait pensant À sa blessure délicate … Tu ne briseras pas la chaîne de ces causes… …Et douloureuse et nous disait: …Qui sont les effets d’autres causes Mon pauvre coeur, mon coeur brisé Pareil au coeur de tous les hommes… Voici nos mains que la vie fit esclaves …Est mort d’amour ou c’est tout comme Est mort d’amour et le voici. Ainsi vont toutes choses Arrachez donc le vôtre aussi! Et rien ne sera libre jusq’à la fin des temps Laissons tout aux morts Et cachons nos sanglots
Human love is ruled by the calm stars. We know that within us many people breathe who came from afar and are united behind our brows. This is the song of that dreamer who had torn out his heart and was carrying it in his right hand… Remember, oh dear pride, all those memories: the sailors who sang like conquerors, the chasms of Thule, the tender skies of Ophir, the accursed sick, the ones who flee their own shadows, and the joyful return of the happy emigrants. Blood was flowing from that heart; and the dreamer went on thinking of his wound which was delicate … You will not break the chain of those causes… …and painful; and he kept saying to us: …which are the effects of other causes. “My poor heart, my heart which is broken like the hearts of all men… Look, here are our hands which life enslaved. “…has died of love or so it seems, has died of love and here it is. That is the way of all things. “So tear your hearts out too!” And nothing will be free until the end of time. Let us leave everything to the dead, and let us hide our sobbing.
Tel jour telle nuit
Text by Paul Eluard
Bonne journée j’ai revu qui je n’oublie pas Qui je n’oublierai jamais Et des femmes fugaces dont les yeux Me faisaient une haie d’honneur Elles s’enveloppèrent dans leurs Sourires
Bonne journee j’ai vu mes amis sans soucis Les hommes ne pesaient pas lourd Un qui passait Son ombre changée en souris Fuyait dans le ruisseau J’ai vu le ciel très grand Le beau regard des gens privés de tout Plage distant où personne n’aborde
Bonne journée qui commença melancolique Noire sous les arbres verts Mais qui soudain trempée d’aurore M’entra dans le cœur par surprise.
A good day I have again seen whom I do not forget whom I shall never forget And women fleeting by whose eyes formed for me a hedge of honour they wrapped themselves in their smiles
A good day I have seen my friends carefree the men were light in weight one who passed by his shadow changed into a mouse fled into the gutter I have seen the great wide sky the beautiful eyes of those deprived of everything distant shore where no one lands
a good day which began mournfully dark under the green trees but which suddenly drenched with dawn invaded my heart unawares.
Une ruine coquille vide Pleure dans son tablier Les enfants qui jouent autour d’elle Font moins de bruit que des mouches
La ruine s’en va à tâtons Chercher ses vaches dans un pré J’ai vu le jour vois cela Sans en avoir honte
Il est minuit comme une flèche Dans un cœur à la portée Des folâtres lueurs nocturnes Qui contredisent le sommeil.
A ruin an empty shell weeps into its apron the children who play around it make less sound than flies
The ruin goes groping to seek its cows in the meadow I have seen the day I see that without shame
It is midnight like an arrow in a heart within reach of the sprightly nocturnal glimmerings which gainsay sleep
Le front comme un drapeau perdu Je te traîne quand je suis seul Dans des rues froides Des chambres noires En criant misère
Je ne veux pas les lâcher Tes mains claires et compliquées Nées dans le miroir clos des miennes Tout le reste est parfait Tout le reste est encore plus inutile Que la vie
Creuse la terre sous ton ombre
Une nappe d’eau près des seins Où se noyer Comme une pierre.
The brow like a lost flag I drag you when I am alone through the cold streets the dark rooms crying in misery
I do not want to let them go your clear and complex hands born in the enclosed mirror of my own All the rest is perfect all the rest is even more useless than life
Hollow the earth beneath your shadow
A sheet of water reaching the breasts wherein to drown oneself like a stone.
Une roulotte couverte en tuiles Le cheval mort un enfant maître Pensant le front bleu de haine A deux seins s’abattant sur lui Comme deux poings
Ce mélodrame nous arrache La raison du cœur
A gypsy wagon roofed with tiles the horse dead a child master thinking his brow blue with hatred of two breasts beating down upon him like two fists
This melodrama tears away from us the sanity of the heart.
A toutes brides toi dont le fantôme Piaffe la nuit sur un violon Viens régner dans les bois
Les verges de l’ouragan Cherchent leur chemin par chez toi Tu n’es pas de celles Don’t on invente les désirs
Viens boire un baiser par ici Céde au feu qui te désespère.
Riding full tilt you whose phantom prances at night on a violin come to reign in the woods
The lashings of the tempest seek their path by way of you you are not of those whose desires one imagines
Come drink a kiss here surrender to the fire which drives you to despair.
Une herbe pauvre Sauvage Apparut dans la neige C’était la santé Ma bouche fut émerveillée Du goût d’air pur qu’elle avait Elle était fanée
Scanty grass wild appeared in the snow it was health my mouth marvelled at the savour of pure air it had it was withered.
Je n’ai envie que de t’aimer Un orage emplit la vallée Un poisson la rivière Je t’ai faite à la taille de ma solitude Le monde entier pour se cacher Des jours des nuits pour se comprendre
Pour ne plus rien voir dans tes yeux Que ce que je pense de toi Et d’un monde à ton image
Et des jours et des nuits réglés par tes paupières.
I long only to love you a storm fills the valley a fish the river I have formed you to the pattern of my solitude the whole world to hide in days and nights to understand one another
To see nothing more in your eyes but what I think of you and of a world in your likeness
And of days and nights ordered by your eyelids.
Figure de force brûlante et farouche Cheveux noirs où l’or coule vers le sud Aux nuits corrompues Or englouti étoile impure Dans un lit jamais partagé
Aux veines des tempes Comme au bout des seins La vie se refuse Les yeux nul ne peut les crever Boire leur éclat ni leurs larmes Le sang au dessus d’eux triomphe pour lui seul
Intraitable démesurée Inutile Cette santé bâtit une prison.
Image of fiery wild forcefulness black hair wherein the gold flows towards the south on corrupt nights engulfed gold tainted star in a bed never shared
To the veins of the temples as to the tips of the breasts life denies itself no one can blind the eyes drink their brilliance or their tears the blood above them triumphs for itself alone
Intractable unbounded useless this health builds a prison.
Nous avons fait la nuit je tiens ta main je veille Je te soutiens de toutes mes forces Je grave sur un roc l’étoile de tes forces Sillons profonds où la bonté de ton corps germera Je me répète ta voix cachée ta voix publique Je ris encore de l’orgueilleuse Que tu traites comme une mendiante Des fous que tu respectes des simples où tu te baignes Et dans ma tête qui se met doucement d’accord avec la tienne avec la nuit Je m’émerveille de l’inconnue que tu deviens Une inconnue semblable à toi semblable à tout ce que j’aime Qui est toujours nouveau.
We have made night* I hold your hand I watch over you I sustain you with all my strength I engrave on a rock the star of your strength deep furrows where the goodness of your body will germinate I repeat to myself your secret voice your public voice I laugh still at the haughty woman whom you treat like a beggar at the fools whom you respect the simple folk in whom you immerse yourself and in my head which gently begins to harmonize with yours with the night I marvel at the stranger that you become a stranger resembling you resembling all that I love which is ever new.
*We have turned out the light