Apparition

La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs Vaporeuses, tiraient de mourantes violes De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles. — C’était le jour béni de ton premier baiser. Ma songerie aimant à me martyriser S’enivrait savamment du parfum de tristesse Que même sans regret et sans déboire laisse La cueillaison d’un Rêve au coeur qui l’a cueilli. J’errais donc, l’oeil rivé sur le pavé vieilli Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue Et dans le soir, tu m’es en riant apparue Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
The moon was saddened. Seraphims in tears dreaming, bows at their fingers, in the calm of filmy flowers Threw dying violas of white sobs sliding over the blue of corollas. It was the blessed day of your first kiss; My reverie, loving to torture me, wisely imbibed its perfume of sadness That even without regret and without setback leaves the gathering of a dream within the heart that gathered it. I wandered then, my eye riveted on the aged cobblestones. When, with light in your hair, in the street and in the evening, you appeared to me smiling and I thought I had seen the fairy with a hat of light who passed in my sweet dreams as a spoiled child, always dropping from her carelessly closed hand a snow of white bouquets of perfumed stars.

La mer est plus belle

La mer est plus belle Que les cathédrales, Nourrice fidèle, Berceuse de râles, La mer qui prie La Vierge Marie !

Elle a tous les dons Terribles et doux. J’entends ses pardons Gronder ses courroux. Cette immensité N’a rien d’entêté.

O! si patiente, Même quand méchante ! Un souffle ami hante La vague, et nous chante : « Vous sans espérance, Mourez sans souffrance ! »

Et puis sous les cieux Qui s’y rient plus clairs, Elle a des airs bleus. Roses, gris et verts… Plus belle que tous, Meilleure que nous !

The sea is more beautiful Than any cathedral; A nurse faithful, A cradle-song of groans; The sea over which prays The Virgin Mary!

It has all qualities, Terrible and sweet. I hear its forgiveness, The rumble of its anger; This immensity Has no intentions.

Oh! So patient, Even when wicked! A friendly breath haunts The waves, and to us sings, “You without hope, May you die without suffering!”

And then under the skies That mock that they are brighter, It shows its colors blue Pink, grey, and green… More beautiful than anything, Better than we!

C’est l’extase langoureuse

C’est l’extase langoureuse, C’est la fatigue amoureuse, C’est tous les frissons des bois Parmi l’étreinte des brises, C’est vers les ramures grises Le choeur des petites voix.

O le frêle et frais murmure ! Cela gazouille et susurre, Cela ressemble au cri doux Que l’herbe agitée expire… Tu dirais, sous l’eau qui vire, Le roulis sourd des cailloux.

Cette âme qui se lamente En cette plainte dormante C’est la nôtre, n’est-ce pas ? La mienne, dis, et la tienne, Dont s’exhale l’humble antienne Par ce tiède soir, tout bas ?

It is the langorous ecstasy, It is the fatigue after love, It is all the rustling of the wood, In the embrace of breezes; It is near the gray branches: A chorus of tiny voices.

Oh, what a frail and fresh murmur! It babbles and whispers, It resembles the soft noise That waving grass exhales. You might say it were, under the bending stream, The muffled sound of rolling pebbles.

This soul, which laments And this dormant moan, It is ours, is it not? Mine — tell me — yours, Whose humble anthem we breathe On this mild evening, so very quietly?

Il pleure dans mon cœur

Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville ; Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie, Par terre et sur les toits! Pour un cœur qui s’ennuie, Ô le bruit de la pluie !

Il pleure sans raison Dans ce cœur qui s’écœure. Quoi! nulle trahison ? … Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine, De ne savoir pourquoi Sans amour et sans haine Mon cœur a tant de peine!

There is weeping in my heart like the rain falling on the town. What is this languor that pervades my heart?

Oh the patter of the rain on the ground and the roofs! For a heart growing weary oh the song of the rain!

There is weeping without cause in this disheartened heart. What! No betrayal? There’s no reason for this grief.

Truly the worst pain is not knowing why, without love or hatred, my heart feels so much pain.

Calme dan le demi-jour

Calmes dans le demi-jour Que les branches hautes font, Pénétrons bien notre amour De ce silence profond.

Fondons nos âmes, nos cœurs Et nos sens extasiés, Parmi les vagues langueurs Des pins et des arbousiers.

Ferme tes yeux à demi, Croise tes bras sur ton sein, Et de ton cœur endormi Chasse à jamais tout dessein.

Laissons-nous persuader Au souffle berceur et doux Qui vient, à tes pieds, rider Les ondes des gazons roux.

Et quand, solennel, le soir Des chênes noirs tombera Voix de notre désespoir, Le rossignol chantera.

Calm in the half-day That the high branches make, Let us soak well our love In this profound silence.

Let us mingle our souls, our hearts And our ecstatic senses Among the vague langours Of the pines and the bushes.

Close your eyes halfway, Cross your arms on your breast, And from your sleeping heart Chase away forever all plans.

Let us abandon ourselves To the breeze, rocking and soft, Which comes to your feet to wrinkle The waves of auburn lawns.

And when, solemnly, the evening From the black oaks falls, The voice of our despair, The nightingale, will sing.

Romance

L’âme évaporée et souffrante, L’âme douce, l’âme odorante Des lys divins que j’ai cueillis Dans le jardin de ta pensée, Où donc les vents l’ont-ils chassée, Cette âme adorable des lys?

N’est-il plus un parfum qui reste De la suavité céleste Des jours où tu m’enveloppais D’une vapeur surnaturelle, Faite d’espoir, d’amour fidèle, De béatitude et de paix?…

The vanishing and suffering soul, The sweet soul, the fragrant soul Of divine lilies that I have picked In the garden of your thoughts, Where, then, have the winds chased it, This charming soul of the lilies? Is there no longer a perfume that remains Of the celestial sweetness Of the days when you enveloped me In a supernatural haze, Made of hope, of faithful love, Of bliss and of peace?

L’ombre des arbres

L’ombre des arbres dans la rivière embrumée Meurt comme de la fumée, Tandis qu’en l’air, parmi les ramures réelles, Se plaignent les tourterelles.

Combien, ô voyageur, ce paysage blême Te mira blême toi-même, Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées, – Tes espérances noyées.

The shadow of the trees in the misty river fades and dies like smoke; while above, among the real branches, the doves are lamenting.

Oh traveler, how well this pale landscape mirrored you pallid self! And how sadly, in the high foliage, your hopes were weeping, your hopes that are drowned.

Mandolin

Les donneurs de sérénades Et les belles écouteuses Échangent des propos fades Sous les ramures chanteuses.

C’est Tircis et c’est Aminte, Et c’est l’éternel Clitandre, Et c’est Damis qui pour mainte Cruelle fait maint vers tendre.

Leurs courtes vestes de soie, Leurs longues robes à queues, Leur élégance, leur joie Et leurs molles ombres bleues,

Tourbillonnent dans l’extase D’une lune rose et grise, Et la mandoline jase Parmi les frissons de brise.

As the swains will serenade All the lovely list’ning ladies Silly compliments are paid Underneath the singing shadetrees.

There’s Clitandre, always lurking, There’s Amyntas, and there’s Thyrsis, And there’s Damis, always working Vainly penning tender verses

Short silk coats, and long-trained dresses, Elegance and joy their due, Feeling not the slightest stresses, And their shadows, soft and blue.

Whirling ’round in ecstasies Underneath a pink, grey moon, ‘mongst the shivers from the breeze, mandolin prattling a tune.

Le son du cor s’afflige vers les bois

Le son du cor s’afflige vers les bois, D’une douleur on veut croire orpheline Qui vient mourir au bas de la colline, Parmi la brise errant en courts abois.

L’âme du loup pleure dans cette voix, Qui monte avec le soleil, qui décline D’une agonie on veut croire câline, Et qui ravit et qui navre à la fois.

Pour faire mieux cette plainte assoupie, La neige tombe à longs traits de charpie A travers le couchant sanguinolent,

Et l’air a l’air d’être un soupir d’automne, Tant il fait doux par ce soir monotone, Où se dorlote un paysage lent.

The sound of the horn is wailing near the woods with a sort of orphan-like grief which dies away at the foot of the hill where the north wind desperately roams.

The soul of the wolf is weeping in that voice which rises with the sun that sinks with an agony that seems somehow soothing and gives simultaneous delight and distress.

To enhance this drowsy lament the snow is falling as long strips of linen across the blood-red sunset, and the air seems to be an autumn sigh,

so gentle is this monotonous evening in which a slow landscape coddles itself.

Fetes Galantes: Les ingénus

Les hauts talons luttaient avec les longues jupes, En sorte que, selon le terrain et le vent, Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent Interceptés ! — Et nous aimions ce jeu de dupes.

Parfois aussi le dard d’un insecte jaloux Inquiétait le col des belles sous les branches, Et c’étaient des éclairs soudains des nuques blanches, Et ce regal comblait nos jeunes yeux de fous.

Le soir tombait, un soir equivoque d’automne : Les belles se pendant rêveuses à nos bras, Dirent alors des mots si spéciaux, tout bas, Que notre âme, depuis ce temps, tremble et s’étonne.

High heels struggled with long skirts, so that, depending on the terrain and the wind, sometimes a bit of the ankle flashed, too often intercepted! and we loved this fool’s game.

Sometimes also the sting of a jealous insect worried the beautiful neck under the branches, and then there were sudden flashes of white necks and so regal, filled our young crazy eyes.

The night fell, a clear autumn night; the beautiful ones, dreaming while in our arms, said then words so special, so low, that our soul since that time trembled and surprised itself.

Fetes galantes: Le faune

Un vieux faune de terre cuite Rit au centre des boulingrins, Présageant sans doute une suite Mauvaise à ces instants sereins

Qui m’ont conduit et t’ont conduite, — Mélancoliques pelerins, — Jusqu’à cette heure dont la fuite Tournoie au son des tambourins.

An old faun made of terra-cotta stands laughing in the middle of the lawn doubtless predicting an unhappy sequel to these serene moments

which have brought you and me (a couple of melancholy pilgrims) to this brief transient hour which now is whirling away to the beat of little drums.

Fetes galantes: Colloque sentimental

Dans le vieux parc solitaire et glacé Deux formes ont tout à l’heure passé.

Leurs yeux sont morts et leur lèvres sont molles, Et l’on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé Deux spectres ont évoqué le passé.

— Te souvient-il de notre extase ancienne? — Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne?

— Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom? Toujours vois-tu mon âme en rêve? — Non.

— Ah ! Les beaux jours de bonheur indicible Où nous joignions nos bouches ! — C’est possible.

— Qu’il était bleu, le ciel, et grand l’espoir! — L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles, Et la nuit seule entendit leurs paroles.

Into the lonely park all frozen fast, Awhile ago there were two forms who passed.

Lo, are their lips fallen and their eyes dead, Hardly shall a man hear the words they said.

Into the lonely park, all frozen fast, There came two shadows who recall the past.

“Dost thou remember our old ecstasy?”– “Wherefore should I possess that memory?”–

“Doth thine heart beat at my sole name alway? Still dost thou see my soul in visions?” “Nay!”–

“They were fair days of joy unspeakable, Whereon our lips were joined?” — “I cannot tell.”–

“Were not the heavens blue, was not hope high?”– “Hope has fled vanquished down the darkling sky.”–

So through the barren oats they wandered, And the night only heard the words they said.

“Ballade des femmes de Paris” (The Ballad of the Parisian Women)

Quoy qu’on tient belles langagières Florentines, Veniciennes, assez pour estre messaigières, Et mesmement les anciennes; Mais, soient Lombardes, Romaines, Genevoises, À mes perils, Piemontoises, Savoysiennes, Il n’est bon bec que de Paris.

De beau parler tiennent chayeres, Ce dit-on Napolitaines, Et que sont bonnes cacquetières Allemandes et Bruciennes; Soient Grecques, Egyptiennes, De Hongrie ou d’aultre païs, Espaignolles ou Castellannes, Il n’est bon bec que de Paris.

Brettes, Suysses, n’y sçavent guèrres, Ne Gasconnes et Tholouzaines; Du Petit Pont deux harangères les concluront, Et les Lorraines, Anglesches ou Callaisiennes, (ay-je beaucoup de lieux compris?) Picardes, de Valenciennes… Il n’est bon bec que de Paris.

Prince, aux dames parisiennes, De bien parler donnez le prix; Quoy qu’on die d’Italiennes, Il n’est bon bec que de Paris.

Though we deem Florentine and Venetian women to be fine talkers, enough so as to be messengers, as were the ladies of old; yet, be they Lombardian, Roman, Genovese, I stand as witness, from Piedmont or Savoy, only from Paris do they have the gift of the gab.

They hold professorships in fine speech so they say of Napolitan women, and that Germans and Prussians are terrible gossips; yet be they Greek, Egyptian, from Hungary or other countries, Spanish or Castilian, only from Paris do they have the gift of the gab.

Bretton and Swiss women hardly know anything, nor do those from Gascony and Toulouse: two fishwives from Petit Pont would shut them up, and those from Lorraine, England or Calais, (have I included many places?) those from Picardy, from Valenciennes; only from Paris do they have the gift of the gab.

Prince, give the prize for speaking well to the Parisian women; whatever they may say of Italian women, only from Paris do they have the gift of the gab.